Lors de la Fête du Livre 2022, Buzzz Magazine a rencontré quatre femmes œuvrant dans le secteur du livre en France et en RDC.
Isabelle Péhourticq, éditrice responsable des documentaires et des livres et CD aux éditions Actes Sud Junior ; Mathilde Walton, programmatrice culturelle spécialisée dans la littérature, fondatrice de l’association Le murmure du monde en 2016 ; Cécile Benoist, auteure et journaliste, sociologue de formation, et Marine Leloup, directrice de l’Institut Français de Lubumbashi, la Halle de l’étoile. Ensemble, elles nous racontent leur séjour en RDC et les défis de l’édition de la littérature jeunesse.
Comment est née l’idée de venir à Lubumbashi participer à la Fête du Livre en RDC ?
Cécile B. : l’idée est venue de Marine Leloup et de l’Institut français de Kinshasa. Isabelle, Mathilde et moi, on nous a juste demandé de venir participer…
Mathilde W. : et on a dit oui ! (Rires)
Marine L. : un contact, depuis mes précédentes fonctions avec Acte Sud, m’a proposé de faire venir Isabelle et une autrice jeunesse, on m’a proposé Cécile. Je connaissais Mathilde depuis bien longtemps dans le secteur culturel et la diffusion de la vie littéraire. C’est comme ça que l’équipe s’est réunie, tout s’est passé vite et elles n’ont pas hésité une seconde pour venir.
Voudriez-vous nous raconter vos rencontres avec les élèves et l’atelier sur l’édition
Isabelle P. : nous avons rencontré toutes les classes du primaire de l’école française. On a adapté le contenu de notre travail en leur expliquant la conception d’un livre, de l’idée au lecteur. Céline a parlé en tant qu’autrice et Mathilde en tant qu’organisatrice de festival. Ensuite, nous avons eu une conférence avec les lycéens de Katumbi Football Academy, école belge et école française. Il y a eu beaucoup d’échange, ils étaient très curieux.
Mathilde W. : pour l’atelier, il était à destination des professionnels du livre. C’était un public mélangé et nous avons parcouru toute la chaîne du livre de l’auteur au lecteur, en décortiquant tous les rôles, que ce soit dans une grande ou une petite maison d’édition. Nous avons eu des discussions très riches, notamment sur la question d’une ligne éditoriale et des questions de promotion de livres, dont les réseaux sociaux.
Nous avons mis l’atelier en scène, dans des jeux de rôles avec les problématiques dont nous avions parlé, c’était très agréable. On a beaucoup rigolé et on a parlé de tous les sujets, tout en réfléchissant sur les questions profondes comme l’édition à compte d’auteur ou d’éditeur. Ça m’a permis de comprendre les réalités congolaises, qui sont très différentes des réalités européennes et d’adapter l’atelier aux éditeurs congolais.
Cette année, la littérature jeunesse est mise en avant. Pourquoi pensez-vous que c’est important de recentrer la discussion sur les jeunes ?
Cécile B. : c’est une vaste question et c’est quelque chose qui va de soi. En France, l’édition jeunesse est très développée, en plus, donner du goût de la lecture dès le jeune âge détermine au final le lecteur en devenir. C’est aussi la découverte des œuvres, une ouverture sur le monde, de l’émerveillement, d’information en fiction tout comme en documentaire. Une conteuse m’a dit un jour qu’il faut « plonger les enfants dans le bain de langage. »
Isabelle P. : pour nous, un jeune lecteur d’aujourd’hui c’est un grand lecteur de demain. On essaie de faire en sorte que ces lectures viennent très tôt parce qu’il n’est pas question que de littérature, mais aussi d’appréhender le monde, de construire l’esprit critique comme sur les fake news, des livres qui leur ouvrent les yeux. En tant qu’éditrice jeunesse, parfois on a l’impression de se battre contre des moulins parce qu’il y a un manque de reconnaissance, même en France. On nous regarde de haut en pensant que c’est moins intéressant de faire des livres jeunesse. Moi, je me bats pour montrer que c’est tout sauf moins important et que c’est même plus important.
Les pays du Sud n’ont pas les mêmes moyens que les pays occidentaux. Quelles recettes aideraient les éditeurs locaux dans leur profession?
Mathilde W. : je l’ai dit lors de l’atelier, je crois beaucoup à la force du réseau professionnel. Si les acteurs de l’édition arrivent à s’organiser déjà à Lubumbashi, ensuite à l’échelle de la RDC, ça peut être une grande force. Ce modèle a beaucoup aidé en France pour consolider la filière livre. Au lieu de se présenter comme des concurrents, ils ont découvert qu’ils faisaient le même métier et qu’ils avaient des choses en commun. Ce n’est pas une recette, mais c’est une direction.
Isabelle P. : je connais mal les réalités du Congo, mais il faut rendre l’accès au livre plus facile*. Si le gouvernement considère le livre jeunesse comme un livre pour l’éducation, ça peut donner une piste.
Marine Le L. : il faut penser à ce que devient le livre après son édition. C’est primordial, par exemple, d’avoir des moments de convivialité autour du livre.
* L’institut français de Lubumbashi compte élargir sa plateforme cairninfo entre 1000 à 2000 de livres techniques et rajouter des livres pour enfants à sa Médiathèque. Des malles vagabondes, pour les classes, seront disponibles pour les écoles qui ne peuvent pas se rendre à La Halle, où seront organisées les réceptions des écoles.
Iragi Elisha pour Buzzz Magazine